F. Eitel: Anarchistische Uhrmacher in der Schweiz

Cover
Titel
Anarchistische Uhrmacher in der Schweiz. Mikrohistorische Globalgeschichte zu den Anfängen der anarchistischen Bewegung im 19. Jahrhundert


Autor(en)
Eitel, Florian
Reihe
Histoire 113
Erschienen
Bielefeld 2018: Transcript – Verlag für Kommunikation, Kultur und soziale Praxis
Anzahl Seiten
630 S.
Preis
€ 69,99
von
Marc Vuilleumier

Saint-Imier et Sonvilier, leur rôle dans l’affirmation et le développement d’un mouvement anarchiste dans l’histoire globale des années 1866 à 1883. Et cela dans un ouvrage de 630 pages! L’aspect du livre frappe: chaque page est généralement divisée longitudinalement en quatre; les trois premiers quarts sont généralement réservés au texte; la fin de chaque ligne, à droite, n’est pas justifiée, donnant ainsi au texte un aspect insolite; le dernier quart, lui, est réservé aux notes et à de petites illustrations.

Frappé par la présence de portraits dans les papiers qu’il a consultés, l’auteur commet un curieux anachronisme en les présentant comme des «cartes de visite», expression qui revient à plus d’une reprise sous sa plume. Un peu comme les selfies actuels.

Si l’on examine la liste des ouvrages et articles utilisés par l’auteur, l’on ne peut qu’être frappé par leur étendue. Relevons à ce propos que l’index alphabétique des personnes ne retient que les noms des personnages «historiques». On y cherchera en vain le nom d’Erich Gruner, bien qu’il apparaisse à plusieurs reprises dans le livre. De plus, la présentation quelque peu désordonnée des sources aurait gagné à être mieux agencée.

En somme, pris par son sujet, Eitel a choisi trois thèmes qui traversent la seconde partie du XIXe siècle (p. 55). Le premier montre la globalisation du Vallon sous tous ses aspects; le deuxième, centré sur le congrès international de Saint-Imier, en septembre 1872, est un examen de l’anarchisme et de ses représentants; avec le troisième, on revient sur les implications culturelles du mouvement et l’implication des anarchistes aux exigences des temps nouveaux. Une démarche non chronologique donc.

Toute la première partie montre bien l’enthousiasme de l’auteur pour son sujet, même si, comme chez d’autres historiens, l’abondance du mot globalisation et des termes dérivés est quelque peu lassante. Une population essentiellement ouvrière (horlogerie et autres métiers): en 1880, 20 % seulement des habitants travaillent dans l’agriculture. La fabrique Longines, fondée en 1866, donne l’occasion de suivre ses effets sur la vie ouvrière. À la fin de l’ouvrage, un Glossar de l’industrie horlogère n’apportera rien au lecteur de langue française, déjà bien pourvu en la matière, mais sera certainement utile aux germanophones.

On voit que ce qui intéresse surtout Eitel, ce sont les rapports entre la région et le marché mondial. Son enthousiasme pour la pose du premier câble télégraphique transocéanique le montre bien.

Parmi les nouveautés, relevons ce Lucien Pillet, guillocheur et membre de l’Internationale à la section de Carouge (Genève), venu travailler à Saint-Imier, qui, à l’automne 1873, émigre à Boston. Les correspondances qu’il adresse au Bulletin de la Fédération jurassienne mettent en garde contre la concurrence des grandes fabriques. Il y a là l’équivalent des rapports officiels d’après 1876.

À propos de Guillaume, une lettre de celui-ci à Victor Cyrille, publiée en 1968 déjà, a échappé à l’attention de l’auteur. «Il me semble que nos journaux doivent toujours garder dans la forme beaucoup de modération: on se fait ainsi beaucoup mieux lire qu’avec des phrases qui font dresser les cheveux sur la tête au public, et on évite de fournir à la presse bourgeoise de ces citations ébouriffantes qui ne mettent pas les rieurs de notre côté! Fédéralisme exprime la même idée qu’anarchie, et l’exprime beaucoup mieux ».

Plus tard, il écrira: «On nous fait à propos du mot abstention, une vraie chicane d’Allemands. Nous avons eu le tort de nous servir, sans y regarder de très près, de la terminologie de Proudhon, et c’est de là que nous avions tiré ces fameux mots d’abstention et d’an-archie [sic]. [...] Il y a fort longtemps que, pour ma part, je demande qu’au lieu de dire abstention, on dise politique du prolétariat, en définissant ainsi cette politique: ‹Démolition de toutes les institutions politiques actuelles, et leur remplacement par des institutions économiques. Destruction de l’État centralisé, et son remplacement par la fédération des communes autonomes.› [...] Quant au mot anarchie, je ne l’ai jamais aimé, et j’ai toujours demandé qu’on le remplaçât par fédération des communes autonomes.»

Eitel ne pousse pas assez son analyse et néglige la position originale de Guillaume en 1871 et surtout 1872. Sa stratégie, regrouper toutes les fédérations de l’Internationale sur la question de l’autonomie et de l’indépendance à l’égard du Conseil général, et cela contre les Italiens et même Bakounine, mériterait une analyse plus approfondie, car finalement, c’est à elle que l’on doit le succès, pour quelques années, de cette Internationale fédéraliste et anti-autoritaire. Relevons ici une petite erreur: la commission du congrès de La Haye avait bien demandé l’expulsion de Schwitzguébel, mais elle a été refusée, seuls Bakounine et Guillaume furent exclus (p. 206, p. 248).

Il y a, à propos des voyages en chemin de fer, de très jolies illustrations montrant la station des Convers, point où s’arrêtait la ligne de Bienne à La Chaux-de-Fonds, avant le percement du tunnel. C’est dans l’auberge des Convers que les membres de l’intimité jurassienne avaient pris l’habitude de se réunir. C’est là qu’en septembre 1874, ils exclurent Bakounine de l’intimité après sa comparution, à Neuchâtel, devant une commission. Rappelons ici que l’intimité désignait l’organisation secrète fondée par Guillaume au sein de l’Internationale.

Paul Brousse, en Suisse de 1873 à 1879, véritable rival de Guillaume, a été l’objet d’un ouvrage qui a échappé à Eitel: David Stafford, From Anarchism to Reformism. A Study of the Political Activities of Paul Brousse within the First International and the French Socialist Movement 1870–90, London 1971. Son auteur avait consulté les papiers du peintre Gustave Jeanneret, chez son fils. Depuis 2002, ils sont à la Bibliothèque universitaire de Neuchâtel, mais non classés. Le livre de Stafford est d’autant plus important qu’il semble qu’une partie de cette documentation n’est plus en Suisse. Le Rotes Antiquariat, à Berlin, avait mis en vente la bibliothèque d’Arthur Lehning; les papiers de celui-ci étaient aussi en main de cette maison qui aurait renvoyé à Amsterdam tous les documents estampillés par l’Institut international d’histoire sociale. C’est probablement dans le lot restant que se trouvent une partie des papiers du fonds Jeanneret relatifs à l’Internationale.

Le livre de Stafford est d’autant plus important qu’il met en lumière la personnalité de Brousse, ses relations avec la France où il se rend clandestinement jusqu’à Paris, ses activités au sein de la Fédération jurassienne. En 1880, il déclare abandonner l’intimité internationale et l’intimité jurassienne et critique le secrétaire de l’intimité internationale, Kropotkine, qui ne joue pas son rôle. En 1879, alors qu’il a été expulsé de Suisse, paraissent toute une série d’articles dans Le Révolté, à Genève, où il s’en prend violemment à l’immigration de patrons juifs venus de la France voisine dans le Jura; il chevauche allègrement la vague d’antisémitisme populaire de ces années, dont il reprend des expressions caractéristiques. Ajoutons à sa décharge que, lors de l’Affaire Dreyfus, il aura une attitude tout opposée. Mais cet antisémitisme passager de Brousse, bien relevé par Stafford, n’est pas mentionné par Eitel.

Sur les voyages en train qui facilitent les rencontres entre anarchistes, Eitel oublie de dire que cela vaut aussi pour leurs adversaires. Ainsi la Fédération romande, opposée aux Jurassiens, qui, en 1872, se rend à Monthey pour y soutenir la section locale, avec cortège et déploiement du drapeau rouge. C’est aussi le cas des voyages de Liebknecht et autres socialistes allemands en Suisse, surtout après la répression de Bismarck. D’ailleurs, l’auteur interprète quelques prises de position du Conseil fédéral comme des craintes de l’anarchisme, alors que ce n’est pas tellement celui-ci qui était en cause, mais la présence en Suisse de socialistes allemands qui y éditaient, depuis l’automne 1879, leur hebdoma daire, Der Sozialdemokrat, introduit clandestinement en Allemagne. Dans sa conception d’un anarchisme global, comme une notion analytique plus que comme un véritable concept historique (p. 18), l’auteur se coupe de toute analyse sérieuse de ce terme.

J’avoue avoir de la peine à comprendre la nécessité de comparer la conception de Rudolf Rocker, dans un texte paru en 1939 aux États-Unis, avec la quatrième résolution du Congrès de Saint-Imier de 1872 (p. 282–296). Rocker, qualifié faussement de «deutsch-jüdischer Anarchist», s’était certes distingué dans l’East End londonien par ses efforts pour organiser les nombreux immigrés juifs, apprenant pour cela le yiddish et se familiarisant avec les usages et les coutumes de ces groupes; mais il n’était nullement juif.

Une question importante demeure. Les ouvriers jurassiens étaient-ils vraiment des anarchistes? Au lieu de se pencher sur la façon dont ils se nommaient, sur les termes employés par eux et leurs contemporains, Eitel le décrète, mais sans jamais dire quand ils le sont réellement. Les pages consacrées à la Fédération ouvrière du Vallon, fondée en 1872, sont caractéristiques; elle refuse d’adhérer à l’Association Internationale des Travailleurs (AIT) jusqu’en 1876 et, même après, ses membres s’inquiètent des dépenses en faveur de la propagande pour les idées de l’Internationale. Le syndicat des graveurs et guillocheurs élabore des dispositions dont plusieurs ne sont guère en accord avec l’anarchisme (p. 440). Il en va de même pour la Société des monteurs de boîtes argent: refus de soutenir la grève de leurs collègues à La Chaux-de-Fonds (1874); refus de l’adhésion à l’Internationale; plaintes contre l’organisation par celle-ci de conférences. C’est malheureusement le seul syndicat dont on possède un registre de procès-verbaux des séances. Or, si l’on consulte l’ouvrage du cinquantenaire de l’Union syndicale suisse (USS) et la contribution d’Achille Grospierre, l’on voit qu’il disposait d’autres documents. J’avais, il y a bien des années, questionné le responsable des archives de la Fédération suisse des ouvriers sur métaux et horlogers (FOMH) qui m’avait dit qu’il y avait eu des disparitions dues à un incendie. Eitel se fait une construction mythique de l’anarchisme, tant chez les ouvriers que dans son interprétation d’un mouvement global, transcendant dates et circonstances. Cela dit, il faut reconnaître l’intérêt de beaucoup de ces pages.

Zitierweise:
Vuilleumier, Marc: Rezension zu: Eitel, Florian: Anarchistische Uhrmacher in der Schweiz. Mikrohistorische Globalgeschichte zu den Anfängen der anarchistischen Bewegung im 19. Jahrhundert, Bielefeld, 2018. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 70 (1), 2020, S. 140-143. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00054>.

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